Ça y est j’y suis. Il fait froid et si humide ! Depuis quand suis-je noyée dans l’ombre ? Une seconde ? Une heure ? Ma tête est gelée par le temps. Et pourtant, mon corps est tel le tranchant d’un couteau rutilé par mon cœur brûlant. Mon corps vif respire, comme si mes poumons lui avaient conféré vocation contre chaleur, en guise d’espoir et de survie. Dans un duel violent au noyau même de cet univers, une cave immense, plafonnée et désertée nous enferme. Je suis là, baignant dans un horizon à perte de vue, où soufflant un grand brasier, je me heurte à chaque inspiration devant l’omnipotence de tout ce béton.
Pour le moment je suis seule, mais pas pour longtemps. Je La trouverai. Lui-Elle, je Le trouverai.
C’est ici, dans ces profondeurs d’ombre, de vide gris et de mort, que les mémoires s’oublient, défendues par l’aigre parfum de Manque et de Tristesse. Je suis la vie et j’appellerai la vie dans la mort.
Du haut de huit petites marches que je dévale comme seul repère vertical à mon oeil, empressée, je fonce droit vers les enfers qu’il me faut traverser, pour défendre à Nouveau* la plus importante chose au creux de cet Univers…
L’urgence me presse sous mon vêtement de combat que l’on a nommé en échange de mon sexe né, le Grand contre la petite ; Alexandra, qui sera tout au long de cette odyssée, mon unique, tremblant piédestal. Au seuil du plus grave des sols de cette terre, dans le plus majestueux paysage que puisse m’offrir la créativité de ce jardin… un long canal d’acide caustique occulte maints et maints serpents noir amaigris. Ils se nourrissent de ce sang givré, comme de l’Héroïne la plus pure à qui l’on doit Joyau contre Loyauté. Mon élan abruptement freiné, je comprends soudain à ses pieds que ce n’est qu’à son toucher que tout se termine et que tout débute…
À son toucher vient la perte de tout, des mémoires et celles des âmes, Tout, s’éteint. Dans le canal où Désir, Colère et Passion te sifflent, une aura envoûtante s’approche. Et sur un plateau doré, mille et un socles, plus hauts, plus grandioses, Meilleur qu’Autre, Assez est absent. Ici, tout vaut Mieux que Simplicité. Le Canal des Assoiffés, dans ce puits de fuite horizontal somnole l’immuable et lourde folie.
En accord dans ce corps, la raison de mon existence est tout ce qui me tient de protéger. Coûte que coûte, j’y parviendrai. Je la trouverai, Lui-Elle… ( mais c’est un suicide !! Mais il me faut sauter ! ) C’est la possibilité de l’impossible à jouer ou je me noie ici, dans la faim du jeu!
Jetant un œil à l’imbuvable largeur du Canal sourd, malgré les maîtres m’écartant de l’autre rive et un corps sans ailes… il me faut sauter par-dessus ou me perdre, en eux. Même si dès le commencement de tout je dois y laisser ma chair, j’y reviendrai, éternellement s’il le faut. On ne m’aura pas. Jamais. Je fusionnerai avec Tout, exorcisant toutes peurs par mes baisers plus légers que la lourde matière et je « resoufflerai » Tout à Nouveau. Jusqu’à la Vie, je serai leur Démon, à Lui-Elle aussi.
Soudain, Tout s’abandonne en moi. L’idée de ne pas y parvenir aussi. Il n’y a plus de choix, ni pour Lui-Elle ni pour moi, parce que le choix n’existe plus depuis mon cœur… L’intention soulevée s’achemine maintenant une réalité.
Un, deux… Je saute.
…je lévite ! Par-dessus la surface du Canal des Assoiffés jusqu’à l’autre rive, Miracle m’attend à pieds joints à ne plus jamais freiner les miens. Voilà que Doute me quitte et je fonce jusqu’à détruire toutes autres sciences par un infini; Amour. Il m’appelle, ce sentiment aigu qui me tire en direction de cette chose que je dois secourir!
– Mais où es-tu !!!
Dans l’odeur du pétrole qui me pique les yeux, voilà que j’aperçois un petit refuge, le semblant d’une maison de poupée sans charme. Elle a la forme d’un carton cubique de 5 mètres carrés, dont le plafond plat semble si plat que l’on doit s’y plier en deux pour pouvoir y entrer. Au travers d’un trou servant de fenêtre, je vois du mouvement dans une faible lueur. Je me transpose devant elle.
Tout se passe si vite, je comprends tout si vite… et tellement rien en même temps. Les seules choses qui semblent m’avoir quittée au milieu de cet univers sont pourtant le doute et mes repères mais pourtant, le temps… Tout est si plein et si inconstant…
Entrouvrant le rideau rose sale faisant office de porte, j’aperçois une silhouette androgyne au corps sec et angulaire. L’être a la tête fine et sans cheveux. Il-Elle a la voix semblable à sa maison sans charme, jolie, sans candeur.
Une voix en moi s’exclame: ‘C’est Lui-Elle ! Le Vendeur de Bulles Esclaves !’
(Hein ? Le Vendeur de Bulles Esclaves… ?!)
Dos à moi, penché sur une femme dont je ne parviens à voir le visage, Il-Elle semble s’occuper de ses cheveux. Mon regard survolant l’environnement, je comprends que l’être est une sorte de coiffeur.
Des cheveux partout sur le sol de carton se chamaillent parmi le vacarme visuel des bouteilles et ciseaux qui forment le chaos de son espace restreint. Pourquoi avoir un salon de coiffure en carton, ici et aussi petit ? Je vois l’être qui, occupé, déambule et blablate infiniment… en se tournant dans ma direction, j’aperçois son visage. Peau poudrée et duvet blond, ses yeux en amande tirent vers le ciel de son crâne nuageux. Ses iris sont si pâles qu’ils semblent blancs et diaphanes. Avec son nez mince et cassant, s’harmonise la finesse de ses lèvres dont je ne peux apercevoir que difficilement le fuchsia… L’être sibyllin m’hypnotise. Attirée par sa parole amphigourique, je voudrais connaître son univers et l’origine de son mystère. Sa beauté berlue une prose, laideur sèche d’un mélancolique désert… quand soudain, se juxtapose une musique que je connais. Au même moment, une bulle géante se glisse devant ma vue dont je ne voulais pourtant sortir…!
– … MAMAN !
L’appelant, un seul visage se retourne au mien. Son visage à elle est perdu, loin, loin d’ici. L’être me perce du regard d’un tel absolu qu’il semble courir jusque dans mes souvenirs… Au fond de ses yeux je vois vrombir les serpents dans un bain de vinaigre aux peurs maltraitées.
(Mais qui est la Mer de tous les désirs et celle de l’Amour dont je ne me rappelais pas ?)
– NON ! JE NE TOMBERAI PAS DANS TON VENTRE ET TU N’EMPORTERAS PAS NON PLUS L’AMOUR DU MONDE !
MAMAN ! RÉVEILLE-TOI … !!
Je hurle, mais maman ne m’entend plus depuis des lunes… Elle grossit et elle grossit! Et elle n’entend que ce que lui fait miroiter d’envie l’être à la face cachée : une nouvelle coupe de cheveux de toute beauté qu’il lui a spécialement réservée. L’être ivre de mépris la convainc et s’affaire avant que je ne parvienne à le déstabiliser.
– MAMANNNN !!!
– FERME-LA ! OU JE LA TUE TU M’ENTENDS !
S’exprima Lui-Elle.
L’écho dans son regard démesuré, je suis une menace qu’il ne peut posséder, encore moins exorciser car je suis le songe de son entité, il vit dans ma pensée. Il le croit. Il est le Roi, la Reine ; via mon système et en entrant dans les pensés de mon système, à moins que je ne m’enivre de Lui-Elle, je ne peux pas me soumettre à son système de pensée. Maman s’est laissée tombée pendant la guerre des croyances.
Dans l’impossibilité de me posséder, maman, comme une poupée fantoche, sera gonflée sans faim. Devant ma conscience je ressentirai toujours la faim. Je verrai tout et j’aurai mal, je me souviendrai toujours. Je verrai qu’elle s’offre aux mains du premier être qui semble lui vouloir du bien. Je verrai l’innocence d’une enfant qui veut juste jouer au bonheur dans le déni d’une adulte qui veut tout oublier. Maman, m’ayant oubliée, elle va bien (mais elle ne va pas bien) et moi, je ne vais pas bien (mais je vais bien) !
Ayant peu de temps, l’être s’empresse de recevoir sa bénédiction, empoigne des ciseaux argentés et fait fi d’oublier à son tour, ma présence Il agrippe ses grosses boucles d’or qu’il dépouille de leurs racines au sol. « Il ne lui enlève que la mort » chuchotent à mes oreilles Bel et Héroïque. Trois grands coups et ma mère, le miroir à la main, sourit à son pâle reflet, de la tête crétine qu’on lui a débitée. Outragée, je me jette sur le siège où ma mère a assis son corps gonflé. Stoïquement, j’empoigne le miroir et l’éclate au visage de l’être qui laisse choir les ciseaux de sa main au sol parmi les boucles d’or.
Le crâne blessé, j’en profite pour tirer ma mère vers moi pour qu’elle me suive… mais si lourd est son oubli, qu’il m’est impossible de la déplacer sans son éveil!
» Vite Alex! Trouve !!! «
En une seconde d’impuissance, une éternité de désespoir m’envahit. Ma mère elle, continue de sourire. L’être qui reprend ses esprits, monte d’une puissance qui fait monter la mienne d’une égale impétuosité. Le duel éclate, sans sympathie. Furieux comme jamais, il empoigne des ciseaux dont la taille semble décupler avec sa folie. Il me poursuit.
Dans une vitesse fulgurante nous lévitons depuis le béton. Les murs mûres craquent, explosent. Je le défie de me tuer sachant qu’Il-Elle ne peut pas, mais l’un croit pouvoir mourir alors que deux peuvent vivre.
La vitesse de nos corps surchauffe l’Un l’Autre et floue tout l’hâve décorum. L’espace-temps de ce monde-image qui nous entoure détone, expirant la lourde matière de la voûte. Une lumière aveuglante pénètre, remplissant l’atmosphère qui nous donnait l’illusion d’une prison jusqu’à l’aveuglement… Huit escaliers argentés se cristallisent, nous aspirant tout droit à la surface de la terre. Sans ma mère…
Sans ma mère.
Je sens la mort m’emplir. J’ai échoué sur Terre.
Je me réveille dans la douleur d’une incorporation nouvelle, qui m’emprisonne différemment, plus terrible que l’état d’où je viens. J’ai mal au coeur. Il est écrasé. Je me sens seule au monde, seule dans un monde d’enveloppes aux lettres oubliées…
Maman.
Assise dans mon petit lit, j’ai trois ans et quelques pommes. Une mouche se pose sur mon meilleur ami, un doudou aux couleurs pastels et aux formes maladroites.
Seule dans la noirceur de ma chambre d’enfant, gavée de tristesse, ma tête fait mal à chercher RePère. Des larmes étouffées coulent sur mon ami dans une douleur intégrale. Dépossédée par la peine, fâchée, je me projette dans la mouche posée sur ma couverture adorée que je presse de toutes mes force avec mes mains. La colère fut jetée sur le petit oiseau noir qui semblait être sorti tout droit de mon cauchemar en même temps que moi… tel un fantôme que je ne voulais pas avoir avec moi. Je me souviens du regret de l’avoir écrabouillée sans pitié. Je voulais tuer la peine et la rage qui était en moi et à ce moment là: j’ai crié
– HHHHHAAAAAAAAAAAAA!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Maman arrive dans ma chambre d’enfant. Elle s’assied près de moi, m’entoure de ses bras et me demande de lui raconter mon cauchemar (encore une fois), mais je ne suis pas capable, encore désorientée. Elle cherchait à me soulager avec les mots que j’avais tant de mal à exprimer face à toutes les informations contenues en moi.
J’ai fait ce cauchemar à répétition. Les mémoires affectives et les images se sont encrées dans mon souvenir. J’ai compris que plus tard, le potentiel de la charge symbolique des images.
Pas d’états constants d’illumination rencontrées, pas d’états constants de ténèbres non plus. Il n’y a que des instants changeants, le changement étant la seule constante. Ni l’un de ces états ni l’autre bloque la roue cyclique de la vie du jour et de la nuit, mais la condamnation, de l’un ou de l’autre de ces états… Peut-être. Tous deux, une invitation vers une nouvelle rencontre avec soi, une nouvelle facette que nous sommes et à tout moment.
–
Nouveau*
Par quelle histoire des mondes débute et se termine le service de l’univers à qui je rends des moi-s ?
Tous, ils sont liés, qu’ils soient diurnes ou nocturnes… Je ne sais plus quel univers je sers… sans que tous ces mondes que je traverse en soient eux aussi aussi affectés.
Je suis configurée tel un château de cartes entremêlées des moi-s dans tous mes jeux Univers-Images…
Je suis héroïne ou scélérate quand mon point d’attention est indifféré des autres présences ou l’inverse… Mais Je reviens à Nouveau, tout le temps. Je réécris une histoire pour l’univers que je suis, pour l’une des chambres multivers de mon grand château et pour le point fugitif le plus important dans l’instant, de tous les moi-s… en Moi.
Personnages:
Manque, Tristesse, Nouveau, Héroïne, Joyau, Loyauté, Désir, Colère, Passion, Meilleur, Un, Autre, Assez, Mieux, Simplicité, Le Canal des Assoiffés, Doute, Tout, Il, Elle, Le Vendeur de Bulles Esclaves, Vie, Démon, Miracle, Mer, Amour, Roi, Reine, Bel, Héroïque, Un, RePère, Maman, Moi, Je, Nouveau,
La Vie.